Transparence et lobbyisme au Québec : un problème de perception ou la perception d’un problème ?

Une réflexion d’Alain Lemieux, lobbyiste et avocat*
Président de AGPubliques

En juin dernier, le Commissaire au lobbyisme du Québec, Jean-François Routhier soumettait aux membres de l’Assemblée nationale un volumineux document de 200 pages intitulé Simplicité, clarté, pertinence, efficacité. Réforme de l’encadrement du lobbyisme, lequel contient à la fois un diagnostic de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme (Loi) adoptée en juin 2002 et un énoncé de principes sur sa réforme. Du même coup, le Commissaire souhaite ouvrir un vaste dialogue et invite l’Assemblée nationale à mandater une commission pour étudier son rapport et formuler des recommandations en vue d’orienter une prochaine refonte de la Loi.

Si le Commissaire vise juste en souhaitant à la fois instaurer un régime d’inscription plus efficace, transparent et convivial pour les utilisateurs et renforcer le dispositif de contrôle, de surveillance, de sanctions et de formation, il écarte en revanche un problème de fond, soit celui du statut de la profession et de sa pratique. Cela demeure essentiellement un projet de réforme de l’encadrement et non du lobbyisme, et en cela, inconsciemment ou non, le Commissaire invite le milieu et le public à entamer sa propre réflexion sur le lobbyisme, que l’on devrait davantage désigner comme représentation d’intérêts, lesquels ne sont pas uniquement privés mais aussi publics et associatifs, se plait-il de rappeler.

On doit effectivement saluer la qualité de la réflexion menée par le Commissaire et son équipe. Le document établit un diagnostic généralement exact de l’état de l’encadrement actuel, que l’on peut partager ou non, mais il s’impose surtout comme un instrument pédagogique unique et essentiel. Nous disposons enfin pour la première fois d’un solide document de référence accessible à toutes les clientèles. Pour l’essentiel, on peut identifier deux grands axes qui traduisent la détermination du Commissaire à mener à terme sa réforme.

Le premier axe porte sur la modernisation de l’encadrement et en cela on ne peut reprocher au Commissaire de vouloir disposer de pouvoirs accrus. Il s’agit ainsi des dispositions visant à élargir la portée de la Loi à tous les acteurs, incluant les organismes sans but lucratif, sauf ceux offrant des services de soutien direct à la population, ainsi que tous titulaires de charge publique (TCP) de l’État incluant ceux de tous les réseaux, mais aussi celles visant à renforcer le régime de contrôle, de surveillance, de sanction et de saisie de documents. On notera le recours accru aux sanctions administratives pécuniaires plutôt que «pénales» ainsi qu’une véritable modulation des peines selon la gravité des infractions. Ce sont des mesures que nous devons saluer puisqu’un meilleur régime de contrôle et de sanctions réduit les coûts sociaux générés par l’inobservation de la Loi. En augmentant le coût des infractions, on en réduit la perpétration.

Le second axe, le plus important à notre avis, est la volonté du Commissaire de créer une plateforme de divulgation fondée sur des critères de «simplicité, clarté, pertinence, efficacité». Là est, selon toute vraisemblance, le nerf de la guerre sachant que l’instrument privilégié par le législateur pour assurer la transparence fut la constitution d’un registre des lobbyistes et de leurs mandats. Depuis sa création, ce registre a fait l’objet de critiques, aussi bien en regard de son accès difficile et complexe que du type de renseignements à fournir. Il y a donc là une volonté à en faciliter l’accès et l’utilisation, mais aussi à éliminer l’inscription de renseignements faisant déjà l’objet de divulgation en vertu d’autres lois, qu’il s’agisse de permis, de contrats publics, de zonage ou autres autorisations.

Somme toute, le Commissaire souhaite revamper le registre en le rendant plus accessible et convivial, tout en permettant aux utilisateurs de disposer de renseignements plus rapidement et surtout plus pertinents. Le concept de «pertinence» va en réalité au cœur même de la problématique, voire de l’existence même de l’encadrement actuel puisqu’il faut trouver, selon le Commissaire, «le juste milieu entre la divulgation d’information pour l’intérêt public et une divulgation excessive s’approchant du voyeurisme».

Si la transparence doit concrétiser le droit des citoyens d’être informés et que l’information sollicitée doit être pertinente ou signifiante pour le citoyen, plutôt que simplement utile, nécessaire, accessoire ou anecdotique, cela nous amène à s’interroger sur l’existence même d’un problème de transparence. Quelle est l’information qu’un lobbyiste chercherait à camoufler et qui serait à ce point pertinente pour le public? À tout événement, existe-t-il vraiment un problème d’accès à l’information pertinente ou non? Si tel est le cas, que veut-on savoir, qui veut savoir et à quelles fins?

Au risque de surprendre, ces questions sont relativement faciles à répondre si on se donne la peine de chercher, ne serait-ce que dans le dernier Rapport d’activités 2017-2018 du Commissaire au lobbyisme du Québec. Le Rapport nous révèle que pour cette année, il y a eu 1 270 demandes de renseignement ou d’assistance ne nécessitant aucune recherche et 75 avec recherche pour un grand total de 1 345, volume d’ailleurs en baisse depuis 2016. Il s’agit ici de simples demandes de renseignements et non d’accès au sens de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels qui n’ont été que de quatre, dont deux furent refusées. Il est donc très difficile de conclure à un problème d’accès à proprement parler, pas plus d’ailleurs que de transparence sur la base de ces chiffres. On peut à la rigueur se questionner sur l’intérêt véritable du citoyen à être informé, eu égard à ce faible volume.

        Que veut-on savoir exactement? Dans 53 % des cas, on veut en savoir davantage sur les activités des lobbyistes, concept assez flou s’il en est un, et marginalement sur le code de conduite, l’enregistrement et le contenu des inscriptions. Le fait que 96% des répondants à un sondage du Commissaire n’aient jamais consulté le Registre est d’ailleurs éloquent à cet égard, et ce même si les réseaux sociaux offrent aussi de l’information, de moindre qualité peut-être mais tout de même. À tout évènement, est-ce que le public a intérêt à être informé sur la stratégie et les opérations d’une démarche ou encore sur le nombre de rencontres et l’identité d’un TCP? À première vue, on peut en douter.

        Par ailleurs, qui veut savoir? Encore là, on se serait attendu à un grand intérêt du citoyen, mais ce n’est pas le cas puisque 76 % des demandes émanent des lobbyistes eux-mêmes, 13 % des TCP, 3 % des médias et 8 % des citoyens. Peut-on vraiment dire que le public s’intéresse à ces activités, du moins assez pour justifier un renforcement de l’accès et une augmentation des coûts afférents? La question se pose.

        À quelles fins peut-on utiliser ces renseignements? On peut aisément comprendre que la communauté des lobbyistes puisse utiliser ces données afin d’identifier les acteurs impliqués dans leurs dossiers et ainsi mieux planifier leur stratégie ou encore les médias afin d’y trouver des sujets de reportage ou compléter leurs notes sur certains aspects de dossiers qu’ils couvrent déjà. C’est d’ailleurs ce que les données sur les demandeurs démontrent. S’agissant du public, le faible pourcentage des demandeurs nous invite à formuler l’hypothèse que leurs intentions véritables relèvent davantage du voyeurisme.

Enfin, le Commissaire réitère l’importance de lui attribuer davantage de pouvoirs en matière d’éducation auprès du public en général et de formation des lobbyistes et des TCP en regard de tous les aspects du cadre législatif des activités de lobbyisme et de son offre de services. S’il faut l’encourager dans cette voie, il importe au préalable de s’interroger sur le type de formation et d’éducation envisagé par le Commissaire? Est-ce une formation portant essentiellement sur l’encadrement et les services du Commissaire afin d’accroître la transparence? Est-ce une formation visant à améliorer la perception du public sur la profession? À la rigueur, c’est peut-être et sans doute les deux à la fois. Ce que l’on sait cependant c’est que les études menées par le Commissaire révèlent que 58 % des citoyens n’ont jamais entendu parler du Commissaire aussi bien que de la Loi et que 96 % n’ont jamais consulté le Registre. Par ailleurs, on ne peut également se surprendre des préoccupations du Commissaire sur la perception négative de la profession de lobbyiste, 56 % des gens interrogés croyant même que les communications d’influence ne sont pas légitimes.

Reconnaissons ici que le Commissaire dispose de ressources assez limitées pour assurer la transparence et mener des activités d’information, d’éducation et de formation : 29 personnes avec un budget annuel de 3,5 millions $ pour contrôler et surveiller quelque 13 129 lobbyistes intervenant dans les secteurs public et parapublic du gouvernement du Québec en plus des municipalités. C’est le coût de transparence, ce qui, à comparer à d’autres organismes (OPC, AMF, DGE, Protectrice du Citoyen, Vérificatrice générale, etc.) est, disons-le, insignifiant.

En réalité, la question que l’on devrait plutôt se poser est la suivante : est-ce que davantage de formation et d’éducation sur l’encadrement est souhaitable et surtout efficace pour corriger les problèmes d’information et de perception relevés par le Commissaire, et si tel est le cas, quelle est la clientèle visée?

Or, les chiffres évoqués précédemment démontrent que le public ne s’intéresse guère au lobbyisme, du moins à son encadrement. Ce sont majoritairement les lobbyistes eux-mêmes, les médias et les TCP loin derrière. De plus, tout indique que le type de renseignement demandé porte surtout sur l’inscription et peu ou pas sur le type d’activités du lobbyiste, sa formation, sa crédibilité, son efficacité, etc. En quoi davantage d’information sur l’encadrement pourra véritablement changer la perception du public? Il y a en réalité peu de chance pour le Commissaire de modifier cette perception, tout comme il est difficile de modifier la perception du public sur les politiques, les avocats ou encore les journalistes?

S’agissant de l’image négative projetée par le lobbyiste : réalité ou perception? Assumant que 56 % de la population le croit, est-ce que les activités du lobbyiste sont à ce point illégitimes ou répréhensibles? Si tel était le cas, comment alors expliquer qu’on ait assisté à un accroissement phénoménal plutôt qu’à une diminution des inscriptions au cours des années? La perception est un concept fort élastique et difficile à mesurer.

Ces quelques observations sur le document du Commissaire portant sur l’encadrement et le régime d’inscription nous ramènent en réalité à une question encore plus fondamentale, soit celle de la légitimité et surtout de la formation du professionnel du lobbyisme. Contrairement à d’autres occupations, techniques ou métiers qui ont été élevés au rang de profession, aucune formation de base n’est exigée pour se présenter comme lobbyiste, aucune règle de l’art reconnue, aucune certification, aucun contrôle professionnel, syndic ou comité de discipline et aucun ordre professionnel. Le lobbyiste n’a pas le statut de «professionnel» reconnu par le Code des professions et il n’est pas rendu à cette étape même si le nombre pourrait aisément le justifier. Il y a plus de 15 ans, en adoptant la Loi et le Code de déontologie, le législateur a cru bon de doter ce secteur d’activité d’un encadrement aussi sévère sinon plus qu’un ordre professionnel, mais sans se demander s’il y avait véritablement une profession. Il a un peu fonctionné à l’envers.

La formation de lobbyiste est vraisemblablement le prochain grand chantier que doit initier le milieu, en collaboration avec les TCP, les universités ou collèges et le Commissaire il va de soi. C’est davantage par le biais d’un lobbyiste doté d’une véritable formation et de règles de conduite reconnues que la perception du public pourra changer pour le mieux. L’économique du comportement nous enseigne depuis peu que les gens sont davantage influencés par ce que font ou ne font pas leurs semblables, leurs attitudes, leur comportement, leur savoir-faire ou leurs habiletés que par tout autre incitatif incluant la législation. Une dose d’autoréglementation par l’industrie serait davantage indiquée afin de promouvoir la profession et accroître sa notoriété et sa crédibilité.

C’est un chantier important que vient d’ouvrir le Commissaire et en cela on doit saluer sa démarche, ses constats et ses recommandations.

* Me Lemieux a enseigné pendant 25 ans à la Faculté de droit de l’Université Laval. Il siège depuis janvier 2015 au comité consultatif du CLQ sur les règles d’encadrement du lobbyisme et le registre des lobbyistes.